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Ou la vision d’une fonction publique qui s’affranchit des règles, plus inégalitaire, avec des recrutements et des évolutions de carrières de gré à gré,  pour un risque de dérives accru.

(téléchargez en pdf cet article  Analyse rapport CAP 2022)

 Le « rapport secret » qui ne l’est plus

Le fameux rapport CAP 2022 (disponible sur notre site ici) , arlésienne depuis mars dernier et que le gouvernement avait finalement renoncé  à rendre public (sic !) a malencontreusement ou délibérément fuité. Cette affaire bien mal gérée par le pouvoir, était évidemment le signe de propositions explosives pour l’avenir de la fonction publique en général, et de ses fonctionnaires en particulier.

Le choix des trois présidents de ce comité des sages était à lui seul tout un programme : des représentants d’une société immobilière liée à des grands groupes financiers, d’un groupe industriel et technologique coté au CAC 40 et le directeur de l’IEP de Paris. Sans parler des personnalités auditionnées connues pour leur hystérie anti-fonctionnaires (IFRAP, institut Montaigne…). En fait, la lecture des 22 propositions du comité n’apporte pas vraiment d’information nouvelle sur les intentions de ceux qui ambitionnent de transformer les services publics. Le pire est bien au rendez-vous et il était connu depuis longtemps.

Un bréviaire de préjugés

Le rapport s’ouvre sur une litanie archi-ressassée depuis trente ans par les gouvernants : on ne peut améliorer le service public qu’en faisant des économies substantielles, la dépense publique n’est pas soutenable, il faut assurer l’équité plutôt que l’égalité, faire du cas par cas plutôt que des normes uniformes etc…

Des propositions « tarte à la crème », du genre il faut « mutualiser les achats », ou du « y a qu’à, faut qu’on » et dont certaines existent déjà. Un exemple parmi des dizaines, tiré du champ de compétence du ministère : « il faut harmoniser les décisions des commissions départementales pour l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ». Mais ce sont les membres des commissions, de par leur compétence d’expert, qui décident ! Alors comment faire pour harmoniser ? Le rapport ne le dit pas ! On crée une norme supérieure uniforme… ?

Le rapport a toutefois une solution « miracle » pour tous les problèmes : le numérique, promu panacée universelle pour la plongée dans le nouveau monde ! Mais à force de mettre le numérique à toutes les sauces, les « sages » eux-mêmes se demandent s’il n’y a pas un « risque de fracture numérique ».  Qu’à cela ne tienne : il faudra lancer une réflexion sur des « guichets uniques » pour enrayer les conséquences négatives ! On fournit la solution et on réfléchit après…C’est l’exemple même du système des cartes grises dont on a remplacé les guichets par un système national informatique et qui voit aujourd’hui près de 600 000 usagers subir des mois de retard dans l’attribution de leur document. Bel exemple d’avenir pour le service public….

Mais les rapporteurs n’évoquent pas ces « écueils ». Au centre du système tel qu’ils le conçoivent, Big Data et l’intelligence artificielle seront là pour gérer nos vies fiscales, sociales comme notre santé. Rien ne garantira plus notre vie privée, sous couvert de simplification… les données collectées seront au service des entreprises ; dans le domaine social le contrôle social pourra être exercé par l’intelligence artificielle (santé, protection sociale, données fiscales et sociales) qui pourra détecter les populations à risque ! L’influence du cinéma de fiction (Minority Report, Total Recall,…) est palpable.

Autre exemple d’incohérence dans la méthode – ou plutôt de précipitation –  de la part de technocrates qui n’ont aucune idée de la manière dont les choses se passent sur le terrain : après trois pages de propositions de transferts entre l’Etat et les collectivités territoriales, le rapport précise qu’une revue des missions sera nécessaire pour « interroger le partage des rôles entre l’Etat et les collectivités territoriales » ! On réforme d’abord, on regarde après… Cela rappelle étrangement les travers de la « RGPP »…

Chaque chapitre se clôt sur une estimation du chiffrage des économies mais sans détail des calculs, autrement dit « à la louche » ! Le rapport finit par avouer que « le choix de l’externalisation n’est pas toujours le moins cher » ! Qu’importe ! L’important est de décharger « le service public de ce qui n’est pas son cœur de métier ». Et pourquoi donc ? Mais pour alimenter les profits des sociétés du CAC 40, bien sûr !

Les mesures phares qui généralisent les pratiques du privé et la logique financière

Pas de surprise dans les mesures préconisées, elles avaient largement fuité auparavant :

  • recours généralisé à des CDD de cinq ans, avec évaluation à la clé sur la base d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens : une façon de limiter le recrutement de fonctionnaires;
  • suppression des revalorisations générales du point d’indice; généralisation complète du salaire au mérite : c’est la seconde partie du plan, on casse le système qui lie point d’indice et carrière pour ne faire évoluer le salaire qu’à la tête du client ;
  • fin du pilotage des effectifs par plafonds d’emploi, pilotage exclusivement par la masse salariale : la gestion devient exclusivement budgétaire et toute liberté est laissé pour le choix de la précarité et du favoritisme;
  • passage systématique du contrôle a priori au contrôle a posterioriet remise en cause des services de  la CCRF (concurrence, consommation et répression de fraudes) sur le terrain avec une privatisation des contrôles, ce qui revient à limiter la place de l’Etat régulateur pour le remplacer par quelques points de sondages…bonjour les crises en perspectives, Lactalis, ou « la vache folle » n’étaient rien à côté de ce qui est promis.
  • généralisation des agences; l’exemple donné dans le rapport est l’agence du sport exclusivement orientée sur le sport de haut niveau, avec une hypothèse forte de disparition du ministère des sports ; mise en extinction du statut des CTS (conseillers techniques et sportifs) ; les collectivités ayant en charge la question du sport au quotidien ; mais également sont concernés les douanes, l’INSEE, le trafic aérien, l’enseignement supérieur…..
  • d’une manière générale, l’Etat doit obéir aux mêmes règles que le privé;
  • des accords locaux, permettant à une Direction départementale ou régionale, ou à un établissement, de déroger au statut ;
  • suppression des CAP nationales de promo et de mobilité pour renforcer l’accompagnement managérial des agents positionnés sur un nouveau poste ou en échec ; la gestion des effectifs et les promotions seraient déconcentrées au niveau régional avec un statut administratif interministériel ;
  • ouverture la plus large possible du recrutement de l’encadrement au secteur privé, favorisant ainsi le « pantouflage » et multipliant le risque de conflit d’intérêt ;
  • généralisation des maisons de services au public (MSAP) et des guichets uniques dans lesquels seront versés les collègues administratifs  à côtés de «  robots physiques » pour assurer l’accueil ! (proposition 4),
  • suppression des dispositifs d’intervention jugés peu efficaces: manifestement les milliards d’aides au patronat prétendument pour créer de l’emploi ne sont pas visés…

L’idée générale est transparente : garder le statut pour l’affichage, mais le déconstruire méthodiquement article par article.

Un impact mal mesuré sur les services du ministère, les ARS, les personnels en DDCS (PP)

Trois propositions, de la cinquième à la septième, concernent le champ de compétences des ministères sociaux et des ARS :

  • n°5 : deux pages de catalogue pour désengorger l’hôpital sans mode d’emploi (inciter à la coopération entre acteurs, développer la médecine ambulatoire etc.). Une seule mesure concrète : déconcentrer les actes de gestion des 50 000 agents relevant du niveau national. Au profit de qui  et avec quels moyens? Le rapport reste muet. Et qui peut vraiment croire que cette mesure servira à « désengorger l’hôpital » ?
  • n°6 : mieux prendre en charge les personnes âgées. Il est préconisé de baisser le financement des établissements et d’augmenter les aides aux personnes qui pourraient dès lors verser plus aux établissements… !!! Par ailleurs, le rapport opte pour la création d’un 5e Objectif non avoué : réduire le nombre de bénéficiaires de l’APA, et mettre en place un système à l’anglaise ou seuls les plus riches pourront se payer des soins de qualité. Dans les faits, certains dispositifs proposés existent déjà….
  • n°7 : simplifier la vie des personnes en situation de handicap. Les ARS seraient pilotes et financeurs uniques des établissements spécialisés. Il serait mis fin à la spécialisation des établissements. Ce n’est surement pas en proposant une prise en charge institutionnelle généralisée que la vie des personnes en situation de handicap sera changée en mieux. Et cette proposition ne cadre pas avec la philosophie du pourvoir en qui vient de faire adopter la réduction de 100% à 10 % de la part de logements neufs accessibles aux personnes handicapées dans les constructions nouvelles…
  • Au chapitre « Eviter les dépenses publiques inutiles»,  la proposition 18  parle d’achever la décentralisation (objectif annoncé dès le départ). Les auteurs du rapport s’interrogent sur le maintien des DDCS, qui dans le domaine social, feraient doublon avec les services du conseil départemental et par conséquent du maintien de la DGCS. Une fois évacuées les questions de sport et de jeunesse, l’hébergement est traité avec le DALO et le transfert des aides à la pierre (DDT) aux régions ou aux intercommunalités. On ne dit rien de la demande d’asile ni de l’hébergement d’urgence. Si les DDCS disparaissent il ne faut pas douter que les préfets prendront la main sur ces thématiques avec une orientation unique « d’ordre public » !

La création d’une filière administrative territoriale interministérielle pour remplacer les corps actuels gérés ministère par ministère, complément indispensable aux dispositifs de formation et de reclassement et faciliter la mobilité géographique. En clair, vous êtes agent du MAS en poste à Aurillac on pourra vous proposer un poste à la DDT d’Annecy, dans le cadre d’une gestion régionalisée des effectifs à statut administratif interministériel…. 7 à 8 h de trajet ….

Le « fonctionnaire citoyen » pour faire échec aux régressions programmées

Pour celles et ceux qui souhaiteront affronter les 150 pages de ce rapport, nul doute que le titre « se réinventer pour mieux servir » paraitra vite de la poudre aux yeux.

Par ses carences en connaissance des situations réelles – la « vraie vie » des gens – et ses propositions tantôt poussiéreuses, tantôt démago, ce rapport ne réinvente rien mais prône un service public qui asservit ses agents et ne tient pas compte des précédentes réformes.  Ainsi, dans sa conclusion, le rapport évoque « les échecs des précédentes réformes » sans préciser en quoi elles avaient échoué. Les propositions contenues dans le rapport sont en réalité la continuité de toutes les réformes menées depuis trente ans dans l’objectif de remettre en cause le statut des fonctionnaires.

Mais la transposition massive de pratiques issues du privé ne constitue en rien une modernisation des services publics. C’est au contraire vouloir ramener la société avant 1946, avant la mise en place du statut quand les fonctionnaires n’étaient que des « sujets ». Autrement dit, ce rapport prône la fin du « fonctionnaire citoyen » qui participe à la construction et au fonctionnement de son administration, pour privilégier des agents dont l’évolution de carrière sera plus liée à leur manière de servir leur chef plutôt que l’usager du service public.

Le rapport pointe néanmoins une cause de l’échec : le manque d’implication des acteurs, c’est-à-dire des agents, des cadres et des ministères dans ces réformes. S’il y a bien une vérité dans le rapport, c’est celle-là : les agents peuvent faire échec aux projets néfastes du gouvernement ! Cela révèle clairement que le « fonctionnaire citoyen » est bien aux yeux du gouvernement, un obstacle qu’il faut casser !

La fonction publique reste un bien précieux pour les citoyens et pour la cohésion de la nation, et le statut des fonctionnaires en est le garant. La CGT qui a contribué aux rédactions des lois et décrets constituant les livres du statut général des fonctionnaires ne lâchera rien pour que le rôle essentiel du fonctionnaire citoyen soit préservé et renforcé. A l’opposé de l’affaire « BENALLA » qui met en lumière un fonctionnement qui s’est affranchit du cadre de la fonction publique, la CGT propose une fonction publique du XXIème siècle, modernisée, et qui offre de véritables perspectives d’évolution et d’implication à tous les agents, au service des usagers d’aujourd’hui et de demain.

 Mobilisons-nous tous ensemble pour une véritable fonction publique moderne, appuyée sur un statut conforté et des garanties renforcées pour les agents et les usagers !